PERA LE HEROS | |
(Une légende permiake) | |
Prologue | |
Sur une morne butte la taïga s’élève, | |
Et à son pied s’étend le cours d’un large fleuve | |
Emportant sans un bruit son onde cristalline. | |
Sur la terre et sur l’eau, le matin printanier. | |
De derrière les arbres apparaît un élan, | |
Là-bas surgit un loup dans la forêt obscure, | |
Un ours va d’un pas mou vers le rivage : | |
Il n’est rien qui résiste sous ses pattes. | |
Sur un lièvre a fondu un très grand aigle. | |
Zibeline et castor font leur travail… | |
De cela il y a longtemps, | |
Les années se comptent par cent. | |
Sur le point culminant de la butte, là-haut | |
Les arbres laissent voir une mince clairière. | |
Pera dans la clairière a sa modeste hutte, | |
Et il vient à sa hutte, Pera, pour chasser, | |
Prendre l’ours et l’élan avec sa longue lance, | |
Et tirer sur le lac les canards et oiseaux ; | |
Sur la Kama, d’un grand remous extraire | |
Comme un simple ide un brochet de deux pouds , | |
Arracher d’un bras les bois de l’élan, | |
Briser à main nue la tête de l’ours, | |
Extirper un sapin chenu, | |
À part lui, nul ne le pouvait. | |
Je veux tout doucement vous narrer maintenant | |
Les gestes et les faits de ce héros puissant ; | |
Vous tenir en haleine en vous disant un conte | |
Ainsi que me l’a fait le peuple des Komis… | |
Ce valeureux héros, enfant de la Loupia, | |
Il avait pour papa un chasseur d’écureuils. | |
Sa puissance, sa force et sa raison | |
(Même s’il était doux, au demeurant) | |
Sont connues des forêts jusqu’à la mer, | |
Où l’on parle toujours beaucoup de lui… | |
Écoutez donc ce que je narre ! | |
Écoutez, amis, ces merveilles ! | |
I | |
En grandissant, Pera étonnait tout le monde, | |
Il n’en finissait pas d’émerveiller les gens. | |
Un beau jour, ses parents partent pour le marais, | |
Laissant Pera dans son couffin à la maison… | |
Notre petit enfant bondit de son berceau, | |
Et, traînant son couffin d’une seule menotte, | |
Le gamin par l’échelle au grenier monte | |
(Voilà comme il est fort, notre Pera), | |
Des planches du toit il fait une hutte, | |
Balance le berceau, chasse un moustique. | |
Assis sur le faîte du toit, | |
« Do-do ! Do-do ! » chante-t-il fort. | |
Et un beau jour Pera eut l’âge de cinq ans. | |
Chaque jour et chaque heure, il grandit et forcit. | |
Et voici qu’une fois son père dit ceci : | |
« Je te prends avec moi et t’emmène à la chasse ! » | |
Pera avec papa partit pour la forêt. | |
Ils s’en vont. Ils pénètrent la taïga profonde… | |
Comme surgit soudain un très grand ours | |
(C’est qu’on ne peut fermer la route aux bêtes !), | |
Il grimpe sur papa, tranche la tête… | |
« Ne sois donc pas vilain ! » lui crie Pera. | |
Tirant la bête par l’oreille, | |
Il sort du bois jusqu’à la berge. | |
Ils étaient quatre frères et sœur à grandir. | |
Les deux aînés s’appelaient Öntip et Miza. | |
Öntip était doué : il savait l’alphabet, | |
Et s’attelait sans peine aux travaux en tous genres. | |
Étant de cœur vaillant autant que pétulant, | |
Il était destiné à devenir soldat. | |
Miza au sigoudök a beaucoup de talent : | |
La nuit, il chante et joue, mais ne dort pas. | |
La sœur Zaran de merise a la grâce, | |
Les joues brillantes du fraisier des bois. | |
De beauté resplendit la fille, | |
Marchant comme le cygne glisse. | |
Ils sont donc quatre frères et sœur, et voici | |
Que toute terre et eau s’étonne et s’émerveille : | |
Pera de jour en jour gagne en force et vigueur, | |
Il n’est plus un enfant mais un gars, maintenant ; | |
Quand étés et automnes ont passé en grand nombre, | |
Öntip s’en va déjà servir comme soldat ; | |
Miza jouait le soir du sigoudök, | |
Égayant, réveillant les gens la nuit, | |
Ses mélodies étaient entendues loin, | |
Par la taïga et l’eau de la Kama ; | |
Zaran au visage riant | |
Est avec tous affable et douce. | |
Zaran la jolie fille aux yeux d’airelles bleues, | |
À natte châtain clair, aux lèvres de framboise, | |
Chantonnait pour les gens comme chante le cygne . | |
De par les monts boisés son chant retentissait. | |
Parfois Pera venait la rejoindre là-haut, | |
D’où le son mélodieux descendait, ruisselant, | |
Où bêtes et oiseaux tendaient l’oreille | |
Aux douces inflexions de la jolie ; | |
Là où l’on entendait la voix rieuse, | |
Le coteau tout entier était en joie : | |
Gaie, elle jouait et chantait. | |
Ainsi se passait la jeunesse. | |
Notre Pera était un très vaillant chasseur. | |
Il ne portait jamais de fusil avec lui, | |
Ne prenant pour chasser qu’une lance bien longue : | |
C’est ainsi qu’il sortait se battre avec les bêtes. | |
Sa lance avait deux brasses et demie de long, | |
À la pointe d’acier de derrière les mers. | |
Et ses skis était longs de quatre brasses : | |
Un élan ne saurait le devancer ! | |
Il est comme un sapin de la taïga, | |
Et marche d’un pas sûr comme un géant. | |
Voilà à quoi Pera ressemble. | |
Face à lui, tout le gibier tremble. | |
Les frères et la sœur essartaient un terrain. | |
Les quatre ensemble travaillaient avec entrain. | |
Tandis qu’il défrichait, Pera de ses mains nues | |
Extirpait tous les arbres jusqu’à la décharge, | |
Le mélèze et le pin, le tremble et le bouleau, | |
Il en faisait un tas et y mettait le feu. | |
Il ne tenait au poing ni scie ni hache, | |
Portant aux bras un tronc comme un mortier. | |
Les frères de semer seigle et navets : | |
La terre apporta cent pouds de récolte. | |
Ainsi vivaient les fils des bois | |
Dans nos marais de la Kama. | |
Et puis un jour voici que le grand frère Öntip | |
S’en alla pour Moscou, pour servir à l’armée ; | |
Zaran eut un mari dans un autre village. | |
Voilà comme ils en vinrent à se séparer. | |
L’autre village était sur un tertre boisé, | |
Au bord d’un fleuve, à quinze verstes, fort lointain. | |
Ils avaient une hache de cinq pouds, | |
Ensemble, tout seul, on ne peut rien faire ! | |
S’il la faut à sa sœur, point de chagrin ! | |
De quinze verstes le frère la lance. | |
Voilà comme il était, Pera, | |
Étonnant nature et hameau ! | |
II | |
Or le tsar de Moscou connut un grand malheur : | |
Un genre de Dragon vint se jeter sur lui. | |
Le Dragon est assis dessus une télègue, | |
En faisant tournoyer la roue de celle-ci, | |
Et la roue de trancher tout ce qui se présente, | |
Sous son pied le Dragon écrase et foule tout. | |
Le tsar envoya l’armée la plus forte, | |
Pour aller protéger toute la ville. | |
Mais la force ne peut rien au fléau, | |
À l’ignoble Dragon nul ne réchappe. | |
Le Dragon fou exterminait | |
Les gens la nuit comme en journée. | |
Déjà l’esprit funeste entre à la capitale… | |
Alors Öntip, tout apeuré, va chez le tsar, | |
Et parle à celui-ci de son frère Pera : | |
On connaît jusqu’au loin sa puissance et sa force. | |
Le tsar lui donne alors sept triples attelages, | |
Pour qu’Öntip sur-le-champ parte chercher Pera. | |
Par la Loupia galopent les chevaux, | |
Voletant sur deux pattes sans repos. | |
Ils arrivèrent, l’échine écumante. | |
Les habitants de s’étonner : « Quel bruit ! | |
Aïe aïe aïe ! Qu’est donc tout ceci ? | |
Des gens sont arrivés ici ! » | |
Apparut de Pera la vieille habitation. | |
Les troïkas toutes les sept s’y dirigèrent. | |
Les visiteurs entrèrent chez notre héros. | |
Parti chasser, le maître n’était pas chez lui. | |
Les hôtes de Moscou se mirent à siffler | |
Des liqueurs en tous genres, en grande quantité. | |
Alors la maison fut tout ébranlée | |
(La peur fit défaillir les visiteurs), | |
Les verres de liqueur se renversèrent, | |
Le flacon tomba, volant en éclats : | |
Car voici Pera revenu | |
Chez lui avec son long traîneau. | |
Pera contre le mur arrêtait son traîneau. | |
Or voici que l’arrêt ne fut pas si habile, | |
C’est pourquoi sa maison en fut tout ébranlée, | |
Les verres tombant sur la table à la renverse, | |
Pour la grande épouvante de nos Moscovites : | |
Voici, pensent-ils donc, que leur vie est finie. | |
Alors Öntip les exhorta ainsi : | |
« N’ayez pas peur ! Nul ne sera heurté. | |
Car même si Pera est grand et fort, | |
C’est un garçon tranquille comme un veau : | |
Il chasse l’élan sans pitié, | |
Mais il ne porte un doigt sur l’homme. » | |
Comme il faisait tomber la neige de ses jambes, | |
Le vent se souleva, la tempête fit rage. | |
Il gravit le perron et la maison trembla, | |
En entrant il tenait à peine dans la porte. | |
Pera tout doucement rentrant dans sa maison, | |
Par prodige le cœur revint aux visiteurs. | |
« Nous venons te quérir, lui dit son frère : | |
Sept troïkas ne sont pas là en vain ! | |
Un ignoble preux s’en prend à Moscou. | |
Viens donc nous délivrer, sans plus tarder ! » | |
Pera regimba tout d’abord, | |
Craignant fort rixes et bagarres ! | |
Öntip dut longuement dispenser ses paroles : | |
Aucun discours n’arrive à incliner Pera. | |
« Je peux lutter, dit-il, contre tout animal, | |
Je n’ai pas abattu peu d’ours avec ma lance. | |
Contre un homme jamais je n’oserais me battre… » | |
Mais il lui faudra bien écouter son grand frère ! | |
Pera revêtit manteau et surtout, | |
Chaussa des souliers neufs de quatre empans. | |
On lui offrit le cheval le plus fort. | |
Mais le héros s’en va sans troïka. | |
« J’irai plus vite avec mes skis, | |
Qu’avec vos troïkas ! » dit-il. | |
« Comment donc à Moscou te retrouverons-nous ? » | |
« Je planterai mes skis sur le bord du chemin ; | |
Quand vous arriverez en ville en troïka, | |
Grâce à eux vous saurez où je serai rendu. » | |
Les skis, en coup de vent, filaient à toute allure, | |
Plus vite encor que le cheval le plus vaillant. | |
Le jeune héros sur la neige blanche | |
Glisse admiratif devant la nature. | |
Il vint deux jours avant la troïka… | |
Peu de marcheurs vont aussi vite à skis ! | |
Le voici à Moscou, tout près. | |
Il s’arrête en ville, hors du bois. | |
Arrivé à Moscou, Pera, près de la ville, | |
Planta ses skis dans la neige du bas-côté, | |
Et entra lentement dans quelque cabaret. | |
Il y trouve du monde en grande effervescence. | |
« Pour restaurer ma gorge, apportez quelque chose ! » | |
On lui donna à boire un petit bock de bière. | |
« Hé ! c’est un bock pour une chiffe molle ! | |
Allons, servez-moi plutôt dans ce seau ! » | |
Pera se descendit deux seaux de bière, | |
Engouffra des pâtés, hocha la tête ; | |
Il mangea huit pleines assiettes, | |
Ce n’est qu’alors qu’il fut repu. | |
Les gens du cabaret, époustouflés, se turent. | |
Pera sortit et se coucha près de ses skis, | |
Aussitôt le héros sombra dans le sommeil : | |
Pour sûr, la longue route a épuisé le gars ! | |
On écoute ébahi comme il ronfle en dormant. | |
Avec ses ronflements, il fait même tomber | |
La neige des maisons, trembler la terre, | |
Chanceler l’arbre sur le bord de route… | |
Le gars de la Kama, deux jours durant, | |
Dort d’un sommeil profond, doux et puissant ! | |
Il a l’air fatigué, Pera. | |
Mais c’est pour mieux agir ensuite ! | |
Bien des gens s’amassèrent auprès du dormeur. | |
Les Moscovites, stupéfaits, de s’esclaffer : | |
Voici quelque inconnu qui sommeille en ronflant, | |
Il porte des souliers d’une archine de long, | |
Et n’a pour lit que des branchages de sapin, | |
Un manteau gris fait par ses soins ouvert sur lui, | |
Sur le côté, des skis de quatre brasses. | |
Nul ne sait d’où est arrivé cet homme. | |
Les badauds de pouffer à qui mieux mieux, | |
S’agitant comme cent vaches qui meuglent. | |
Le bruit des gens ne fait que croître. | |
Or quelqu’un le piqua d’un pieu. | |
Pera sous la piqûre en sursaut se leva. | |
Il voit l’attroupement debout autour de lui : | |
Telle est l’agitation qu’il ne peut faire un pas. | |
Lors il brandit un tronc au-dessus de sa tête : | |
« Parents et gens sensés, remettez-vous en route ! | |
Et que les tous les idiots s’approchent donc de moi ! » | |
Sur les têtes des gens le tronc vola… | |
La foule incontinent s’éparpilla : | |
Tout le monde s’enfuit sans réfléchir. | |
Ainsi s’affranchit-il de ces badauds. | |
C’est alors que sept troïkas | |
Vinrent en ville à vive allure. | |
Lorsque Pera eut vu venir les troïkas, | |
Il jeta son tronc d’arbre au loin sur le côté. | |
Puis Öntip conduisit Pera auprès du tsar. | |
Le tsar, tout étonné, lui dit joyeusement : | |
« Vous êtes fatigué ? Alitez-vous donc là ! » | |
On apporta trois lits de moelleux édredon. | |
Pera fit la moue : « Je ne suis pas soûl… | |
Sobre je ne me recoucherai pas ! | |
Là c’est plein de punaises et de puces, | |
Je ne vais pas lutter toute la nuit ! | |
Très peu pour moi, très peu pour moi ! | |
Je veux des branches de sapin ! » | |
Dans la prairie voisine, à l’aube s’engagea | |
Un grand combat entre Pera et le Dragon. | |
La télègue écrasante arrive à grand fracas, | |
La roue qui tourne tranche tout sur son passage, | |
Laboure et broie obstinément ce qu’elle foule. | |
Sur la télègue le Dragon se tient debout. | |
Lors Pera d’une main la repoussa : | |
Elle se tordit comme une cheville, | |
Et vint heurter Pera au petit doigt. | |
« Le vilain résiste à ma main ! Dommage !… | |
Maudits moustiques ! s’écrie-t-il. | |
Voilà qu’ils m’ont piqué au doigt ! » | |
Puis ils se reposèrent jusqu’au jour d’après. | |
Le lendemain matin, leur combat continue : | |
La télègue écrasante arrive à grand fracas, | |
La roue qui tourne tranche tout sur son passage, | |
La voici qui s’approche tout près de Pera. | |
Avec son autre main Pera la bouscula : | |
L’on entendit son doigt être arraché. | |
« Allons, il faut attendre. Ouvre les yeux ! | |
Voici que ce gros taon est courroucé ! » | |
Ainsi dit Pera, et se retourna. | |
La télègue s’enfuit au loin, | |
Passe un ruisseau vers la colline. | |
Puis ils se reposèrent jusqu’au jour d’après. | |
Le lendemain matin, leur combat continue : | |
La télègue écrasante arrive à grand fracas, | |
La roue qui tourne tranche tout sur son passage, | |
La voici qui s’approche tout près de Pera. | |
C’est alors que Pera l’empoigna des deux mains, | |
La serra comme une tête de chou, | |
La souleva, et… patatras ! par terre. | |
La télègue éclata en mille pièces, | |
La roue se fracassa – que le jeu cesse –, | |
Étincela comme un éclair. | |
Le Dragon fut réduit en miettes. | |
Un grand élan de joie saisit les Moscovites, | |
À la rencontre de Pera ils affluèrent. | |
Les gens sont si contents qu’en tous sens ils s’agitent. | |
Alors Pera prit peur : il se crut inculpé. | |
Il s’enfuit au galop par les rues de la ville. | |
Le peuple le poursuit dans des cris de salut. | |
Il arracha d’une isba les rondins, | |
Se rua sur les gens, comme une bête… | |
Son frère le rejoignit en courant | |
(Il a dû se produire un grand malheur : | |
Et s’il a tué tout le monde !) | |
Öntip parvint à l’arrêter. | |
Ensuite chez le tsar Pera fut convoqué. | |
Le tsar lui demanda : « Dis-moi ce qu’il te faut. | |
Dix pleines poignées d’or ? des habits de boyard ? | |
Cent roubles de vaisselle et des tasses en or ? | |
Je puis te faire don de hautes distinctions. » | |
Pera de répliquer : « Je n’ai besoin de rien. | |
Donne-moi donc un bois pour y chasser, | |
Que personne ne puisse me le prendre. | |
Donne-moi aussi des outils plus grands, | |
Et délivre la Kama des impôts, | |
Qu’il n’existe plus d’oppression. | |
À part ça, il ne me faut rien. » | |
Et le tsar consentit à toutes ses requêtes : | |
Il donna un permis pour chasser en nature ; | |
Pour capturer la gélinotte et la perdrix, | |
Des rets de soie d’au moins cinquante roubles ; | |
Un métier tout en or pour tresser les souliers ; | |
Pour sa mère il offrit un châle en cachemire. | |
Pera était fort heureux et content… | |
Puis vint le moment de quitter Moscou. | |
Pera récupéra donc ses longs skis, | |
Fila vers où il était attendu, | |
S’élançant sur la neige blanche | |
À skis vers son pays natal. | |
« Aura-t-il eu raison de cet affreux Dragon ? » – | |
S’inquiète et se soucie la mère de Pera, | |
Qui passa trop de nuits sans fermer l’œil. | |
Son frère s’attriste et sa sœur s’inquiète. | |
Jour et nuit chacun pense et se soucie, | |
Attend que vienne l’héroïque ami. | |
Et voici que vint le héros : | |
La Kama recouvra la joie. | |
III | |
Mais cette liberté fut de courte durée : | |
Le tsar lui retira son permis de chasser | |
Et offrit la région au comte Stroganov, | |
Arrogant, oublieux des bienfaits de Pera… | |
Pera ne voulut pas satisfaire le comte : | |
Il ne pouvait pas croire au parjure du tsar. | |
« Bon gré mal gré, je garde la nature, | |
Je ne m’incline pas devant le comte. | |
Les pauvres gens de la Kama et moi, | |
Nous ne céderons point nos vies au comte ! » | |
« Certes non ! » crièrent les gens, | |
Le cœur submergé par la haine. | |
L’armée du comte était à l’affût pour tuer ; | |
Elle fut trois années aux trousses de Pera. | |
Lorsque Pera s’en va sur ses skis pour chasser, | |
L’armée va le chercher, mais ne peut le trouver. | |
Et l’armée a beau battre la forêt, | |
Pera chez lui déjà est retourné. | |
Ils fouillent maisons, étables et granges… | |
Mais c’est en vain qu’ils font tout ce vacarme : | |
Car chaque villageois s’empresse | |
À le cacher avec adresse. | |
Au bord de la Kama s’élevait une butte, | |
Lieu le plus haut et le plus beau de la région. | |
Ce rocher surplombait la région tout entière : | |
On voyait de là-haut la forêt, le village. | |
Voici qu’un jour Pera sur le sommet monta | |
(Il avait pour ce lieu une grande affection !), | |
Et, debout au plus haut de la colline, | |
Contempla la beauté de son pays : | |
Le soleil printanier montrait sa tête, | |
Sous l’œil s’étendaient taïga et marais. | |
Pera admira la rivière, | |
La terre et la forêt sans fin. | |
L’armée du comte alors remarqua sa présence. | |
Deux cents hommes se mirent à traquer Pera, | |
Et le voici visé par au moins cent fusils. | |
Pera voit que sa fin est déjà arrivée : | |
« Ces scélérats n’auront ni ma chair ni mon sang ! » | |
Du sommet il bondit dans un profond remous… | |
Le brave homme en roc, dit-on, s’est changé, | |
L’ami auprès des gens de la Kama… | |
Là se tient aujourd’hui un très grand roc, | |
Au milieu des flots… la vie se maintient ! | |
Voici que son bras vigoureux | |
Indique le haut de la butte. | |
Épilogue | |
Quand le comte accabla les bords de la Kama, | |
Le roc au cœur du fleuve, en forme de Pera, | |
Incita au combat le peuple en oppression, | |
Alluma dans son cœur un feu de liberté, | |
Il offrit d’écraser l’ennemi par sa force : | |
Le rocher promit de renaître… de surgir | |
Sur le sommet bleu qu’on aperçoit là, | |
D’où l’on peut voir tout le peuple opprimé, | |
Les larmes et sueur des travailleurs, | |
L’« hôte » qui boit le sang des pauvres gens… | |
Il promit de crier de là : | |
« Jaillis, feu de la liberté ! » | |
* * * | |
Passèrent les années, et passèrent les siècles. | |
Voilà déjà beaucoup de printemps et d’étés. | |
Les opprimés de la Kama longtemps gémirent. | |
Le comte dans sa poche amassait les richesses. | |
Les défenseurs des pauvres gens allaient croissant : | |
La terre engendra un héros d’une autre sorte, | |
Donnant la liberté aux opprimés, | |
Mettant un terme à toute pauvreté, | |
Il planta au sommet un drapeau rouge, | |
Et le suceur de sang fut écrasé… | |
Прансуз ногӧн гижис
Sébastien Cagnoli
Sébastien Cagnoli