LE GRAND POISSON ET LE PETIT | |
Dans l’eau vive et scintillante, | |
Là était le blanc Gardon, | |
Restant sur le bord sableux, | |
De peur des endroits profonds. | |
« Moi, petit poisson, dit-il, | |
Comment irais-je là-bas ? | |
Il y va, poursuivit-il, | |
Beaucoup trop de grands poissons. » | |
Le Gardon avait toujours | |
Su estimer sa valeur. | |
Telle était sa clairvoyance, | |
Don de Dieu à sa naissance. | |
Un jour la Brème le vit | |
Restant sur le bord sableux, | |
Elle remua la queue | |
Et demanda : « Qui es-tu ? » | |
Le Gardon lui répondit : | |
« D’ici je suis habitant. | |
Et toi, où donc te conduit | |
Ta nage à contre-courant ? » | |
La Brème leva la tête : | |
« Je remonte vers l’amont, | |
Avec de bonnes nouvelles | |
De la mer pour les poissons. | |
Pour les petits et les grands | |
Est venue la liberté — | |
Oyez, si vous le voulez, | |
Oyez, ceux qui ont des ouïes ! » | |
Le petit poisson, surpris, | |
Reste là à s’étonner ; | |
De ce discours de la Brème | |
Il parle avec le Goujon. | |
Le Goujon reste sceptique : | |
« On nous ment », rabâche-t-il. | |
Le Gardon de rétorquer : | |
« Moi je pense que c’est vrai ! » | |
Le Goujon fit un sourire, | |
Entra sous des branches mortes : | |
« Arrête, idiot de Gardon, | |
Ta clairvoyance est perdue ! » | |
Le Gardon ne prêta pas | |
Attention à ses paroles, | |
Mais il dit en se moquant : | |
« Toi-même arrête d’abord ! | |
Voici que cette nouvelle | |
M’a rendu le goût de vivre. | |
En pleines eaux à présent | |
Je n’ai plus peur de personne ! » | |
Le Gardon part au milieu, | |
Il tournoie et batifole, | |
Se promène en haut, en bas, | |
Et crie de sa fine bouche : | |
« Petit poisson que je suis, | |
Mes manières sont si grandes | |
Que les gros bras, maintenant, | |
M’inspirent bien peu de crainte ! » | |
Le blanc Gardon n’eut longtemps | |
Le loisir d’aller si vite. | |
Près de lui vint le Brochet : | |
« Je vais te manger ! » dit-il. | |
Le Gardon ouvrit les yeux : | |
« Arrête donc tes sornettes. | |
La liberté est venue : | |
Je ne puis être mordu ! » | |
« La liberté est venue, | |
Je sais, répond le Brochet. | |
C’est pourquoi je vais d’abord | |
Te laisser la liberté. | |
Ainsi, mords-moi donc toi-même, | |
Mange-moi comme tu veux. | |
Si tu ne peux me manger, | |
C’est moi qui t’avalerai ! » | |
Le Gardon se mit en tête | |
De manger le grand Brochet. | |
Mais il ne put approcher | |
Son museau jusque là-bas. | |
« Je n’ai pas assez de force, | |
Dit-il, non, je ne peux pas. » | |
Et le Brochet de glapir : | |
« À présent je suis fâché ! » | |
Il ouvrit sa large bouche, | |
De ses dents fit cric-crac-croc : | |
Le blanc Gardon tout entier | |
Se retrouva dans sa gorge. | |
Ainsi notre blanc Gardon, | |
Du Brochet fut l’adversaire, | |
Ainsi c’est lui qui dans l’eau | |
Avait de grandes manières. | |
Прансуз ногӧн гижис
Sébastien Cagnoli
Sébastien Cagnoli