LE MONCEAU DʼOR | |
En un village, en un hameau, | |
Deux frères vivaient calmement. | |
Jamais ils n’avaient de dispute, | |
Aucun des deux n’était méchant. | |
Un jour ils partirent ensemble | |
Chasser perdrix et écureuil. | |
Dans le fond, ils pensaient ceci : | |
« Et si nous trouvions un renard ? » | |
Les frères marchent à grands pas, | |
Laissant leur maison loin derrière. | |
Dans la fôret ils rencontrèrent | |
Un homme âgé à barbe blanche. | |
« Écoutez, n’allez pas plus loin, | |
Leur dit le grand-père barbu. | |
Par ce chemin, mes chers enfants, | |
Vous ne trouverez rien du tout. » | |
« Bien sûr que si. Qu’en sais-tu donc ? | |
Lui répondit l’un des deux frères. | |
Ce qu’on voit de cette forêt | |
Ne nous paraît pas trop mauvais. » | |
Le vieux grand-père à nos deux frères | |
Redit : « Écoutez-moi. Ici, | |
Point de perdrix ni d’écureuil, | |
Renard et louveteau non plus. | |
Je vous en prie, n’y allez pas. | |
Un grand serpent gît près d’ici. | |
Écoutez-moi, qui suis âgé. | |
Et l’homme âgé n’est pas dément. | |
Allez-y : il vous mangera, | |
Ainsi que l’ours mange la vache. | |
Rentrez chez vous, mes bons enfants, | |
Tant que vous êtes encor vifs. » | |
Le vieux s’en fut parmi les arbres. | |
Longtemps les frères demeurèrent. | |
Ensuite, après conversation, | |
Le sang bouillonna dans leurs cœurs. | |
« Allons-y, n’ayons peur de rien. | |
Tiens, Vańö, allons çà et là ! » | |
Ainsi parla à son grand frère | |
Öńö, le plus jeune des deux. | |
L’aîné brandit son arquebuse : | |
« Voici ce qu’on a pour la bête ! | |
Mon arquebuse et ta cognée | |
Vont lui raccourcir l’existence ! » | |
En avant les gars se ruèrent. | |
Öńö porte sa hache au poing. | |
L’autre se tient prêt à tirer. | |
Nul des deux n’a la main qui tremble. | |
Ils ne coururent pas longtemps. | |
Une clairière entre les arbres | |
Apparut, où de jolies fleurs | |
Poussaient parmi une herbe drue. | |
Alentour regardent les frères, | |
Si le serpent montre sa tête, | |
Et qu’il ne tombe tout d’abord | |
Sous leur propre coup d’arquebuse. | |
Mais le serpent n’apparaît pas. | |
On entend bruire la clairière. | |
Öńö vit un grand monticule | |
Rouge et brillant comme le feu. | |
« Qu’est-ce là qui nous éblouit ? | |
Quelqu’un a allumé un feu ? | |
S’exclama-t-il. Allons, Vańö, | |
Approchons-nous de ce prodige. | |
Au tas brillant comme le feu | |
Les frères vinrent sur-le-champ. | |
Et ils écartèrent les bras, | |
S’émerveillant et s’écriant : | |
« Des pièces d’or ! Un monceau d’or ! | |
Richesse innombrable, infinie ! | |
On n’en verra jamais autant, | |
Même par-delà l’océan ! | |
Avec cet or, il va pousser | |
Des ailes sur nos deux épaules. | |
Avec ces pièces, nous vivrons | |
Comme vivent les négociants. | |
Notre logis grand comme un temple, | |
Nous y mangerons du pain blanc, | |
Aurons des samovars d’argent, | |
Tasses d’argent, cuillers d’argent. | |
Nous devons aller au bazar : | |
Cocher, la troïka est prête ? | |
Ce sera la vie de château : | |
Douce, agréable, et très joyeuse ! » | |
Ainsi devisèrent les frères, | |
Voilà quel était leur discours. | |
La dimension du monceau d’or | |
Était d’une brasse de tour. | |
« Écoute un peu ce vieux grand-père, | |
Reprit Vańö tout guilleret. | |
Si nous n’étions venus ici, | |
Nous serions longtemps restés pauvres. » | |
« Toutes ces pièces, reprit l’autre, | |
Rassasieront beaucoup de bouches. | |
Et les enfants de nos enfants | |
N’en verront pas encor le bout. » | |
Mais ils méditent en secret : | |
« Cette affaire est bien ennuyeuse, | |
Que ces richesses que voilà | |
À moi tout seul ne soient échues. » | |
Longtemps ils furent immobiles. | |
L’or leur éblouissait les yeux. | |
Une pensée hantait leurs têtes : | |
« La moitié du tas fera peu ! » | |
Vańö dit à son petit frère : | |
« L’or n’ira pas dans la besace. | |
Tu ne peux tout porter sur toi, | |
Sans cheval tu ne feras rien. | |
Rentre, Öńö, chercher un cheval. | |
Tes jeunes jambes vont plus vite : | |
Ici je veillerai sur l’or, | |
Jusqu’à ton retour au galop. » | |
Öńö ne s’y opposa point : | |
Ça ne lui prendrait pas longtemps. | |
Il prit sa hache sous le bras, | |
Au logis fila promptement. | |
Öńö fut vite à la maison, | |
Il ne revient pas de sa joie. | |
« Baba, Baba, ce qu’on a vu ! | |
Beaucoup de roubles en monnaie ! | |
Dans le bois gît un monceau d’or, | |
Richesse innombrable, infinie. | |
On n’en verra jamais autant, | |
Même par-delà l’océan ! | |
Mon frère âiné veille sur l’or, | |
Pendant que j’amène un cheval. | |
Il veut emporter de là-bas | |
La moitié de l’or, pour sa part. | |
Allons, Baba, ne donnons pas | |
La moitié de l’or à mon frère. | |
De ce monceau qui est le nôtre | |
Qu’il ne soustraie pas trois kopecks. | |
Vite, vite, Baba, fais cuire | |
Un poison mortel dans du pain, | |
J’en ferai manger à mon frère | |
Et puis tout ira pour le mieux. » | |
La baba dit à son moujik : | |
« J’y vais illico, n’aie pas peur. | |
Le monceau d’or sera à nous, | |
Partageons point avec ton frère. » | |
Elle prit un poison mortel, | |
En mit deux pincées dans du pain. | |
Elle en fit cuire dix boulettes | |
Et enduisit le tout de beurre. | |
Öńö prit les petits pains ronds | |
Et dit : « Tu as bien travaillé ! | |
Si frérot meurt, le monceau d’or | |
Je l’emporterai tout entier ! » | |
Le cheval prêt et attelé, | |
Il se précipita derrière. | |
Il pousse Ryžko en criant : | |
« Hue, hue, dépêche-toi, mon coeur !… » | |
Pendant qu’il approchait, Vańö, | |
Le frère aîné qui gardait l’or, | |
Dans un élan de convoitise | |
Pensait des pensées malicieuses : | |
« Öńö arrive vite, vite, | |
Tu ne peux t’en débarrasser. | |
Il faut partager le tas d’or, | |
Donner la moitié du monceau. | |
Je ne ferai pas le partage, | |
Ne donnerai pas trois kopecks ! | |
Je l’abattrai à l’arquebuse, | |
Et j’aurai le tout pour moi seul. » | |
Vańö s’étend derrière l’or, | |
Il sait ce qu’il lui reste à faire : | |
Il mit l’arquebuse à l’épaule, | |
Leva le chien, prêt à tirer. | |
Son cœur était comme une pierre, | |
Il ne chérissait plus son frère. | |
Seul l’or était cher à ses yeux, | |
Seul l’or lui causait du chagrin. | |
Il était tapi depuis peu, | |
Quand il entend trotter tout près. | |
Il voit arriver en télègue | |
Son petit frère à vive allure. | |
Vańö ne frémit pas du bras, | |
Car il était un bon tireur. | |
Il tira sur son frère au front, | |
Afin de lui fendre la tête. | |
La balle trouva son chemin, | |
La balle ne manqua sa cible. | |
Öńö tomba, Öńö mourut. | |
Il ne connut pas la richesse. | |
Vańö se releva de terre, | |
Et il avait les yeux hagards : | |
« Je n’ai plus besoin de donner | |
Au cadet la moitié du tas. | |
À présent, à moi sera l’or, | |
Le grenier plein, le pain d’épice. | |
À présent, ma vie de château | |
N’aura de terme ni de fin. | |
Au rang de riche négociant | |
À présent la voie m’est tracée. | |
À présent, même le doyen | |
Ne pourra pas m’incarcérer ! » | |
Alors il vit sur le traîneau | |
Des boules d’un beau pain moelleux. | |
« Attends, mangeons d’abord un peu. | |
Il n’est pas bon d’être affamé. » | |
Il mangea un petit pain rond, | |
En mangea trois, en mangea quatre. | |
Les mangea tous jusqu’au dernier, | |
Sans en laisser la moitié d’un. | |
Son œil s’assombrit, s’aveugla, | |
Son âme emportée par la mort. | |
Le poison mortel le tua, | |
Et il ne put emporter l’or. | |
Telle fut la fin des deux frères. | |
L’homme âgé n’était pas dément : | |
Là-bas, ainsi qu’il l’avait dit, | |
Un grand serpent gisait vraiment. | |
Прансуз ногӧн гижис
Sébastien Cagnoli
Sébastien Cagnoli