PIPILISTY LE FAUCON

1
Jadis au bord d’un clair ruisseau, Au cœur du bois dans la clairière, Proche ou lointain, nul ne le sait, Mais ici, au pays komi, Dans un petit foyer modeste Vivait un couple de chasseurs. Trois garçons leur étaient nés, Tant robustes qu’avisés. Le plus grand s’appelait Nyrkab. Il était fort, comme un héros. Iirkab est le nom du puîné, Tel l’écureuil aux pieds agiles. Le cadet du nom de Miza Du pipeau savait l’harmonie : Jamais la joie ne lui faut, Pourvu qu’il ait son pipeau. Nuit et jour ils vont à la chasse, Amassant un vaste butin. Emportant le butin d’un an, Le père partit pour la ville. Ainsi parla-t-il à ses fils : « J’emporte à vendre bien des choses ; Or en ville tout s’achète, Que voulez-vous comme emplettes ? » « Un javelot visant tout seul !» Ressasse l’aîné à son père. « Pour moi, des skis allant tout seuls, Léchant si bien l’eau que la terre !» Voilà ce que veut le puîné. Miza dit : « Et pour moi, mon père, Pipilisty le faucon – S’il existe pour de bon ! » Le vieux s’en va, son cheval trotte… Un lièvre bondit sur la route. Le vieux le prit dans la clairière, De pain beurré il le nourrit. Un ours surgit de la taïga, Le vieux lui donna du pain d’orge. « Ô vieillard, un grand merci ! Te voici donc notre ami ! » Il atteignit la ville un soir, Y acheta le javelot, Trouva des skis allant tout seuls… Papa chercha bien le faucon : Il arpenta toute la ville, Sa quête dura un semestre, Jambe lasse et maux de tête – Du faucon vaine est la quête. Le vieux alla voir la sorcière, Près d’un torrent noir hors la ville, Où une forêt centenaire Tel l’ours furieux hurle et gémit. Un coq annonce la maison ; Tordue comme une bête fauve, Sur le seuil tremble une vieille, Au nez comme une brindille. Le vieux s’enquiert et l’interroge Sur Pipilisty le faucon. La vieille dit : « J’ai ouï conter, Qu’il était jadis un faucon ; Dans une taïga boréale, Voici, voici, là-haut, là-haut, Il habitait dans les cieux. (La vieille leva les yeux.) Et le faucon vola Par-delà les mers, quelque année. J’ai tout juste aperçu son vol : Ses ailes d’or grand déployées, L’oiseau planait vers le midi, Gorge d’argent éblouissante : C’était une nuit d’automne… Ô quelle clarté rayonne ! Là, il survola le Tövpoz ; Comme il planait sur la montagne, Une plume quitta son aile, Tomba comme une flèche ardente ; Elle est ainsi tombée tout droit Justement sur le mont Tövpoz. Que de lumière au sommet, Quand la plume y fut tombée ! Un lièvre a mangé grâce à toi. Vois-tu, c’était mon fils, ce lièvre, Et l’ours grisonnant, mon grand-père. Prends ce ceinturon en échange : Tombes-tu dans l’eau ou le feu, Il te sauvera de tous maux. Là où la plume tomba, Vivait la vierge Ioma. Et elle a enterré la plume… Va, et tue la vierge Ioma ! Prends donc la plume étincelante, Emporte-la dans tes pénates, Prends-en bien soin, comme il se doit… Près de sa plume, le faucon S’en reviendra, tôt ou tard… Je n’en dirai davantage… » Et la voici changée en lièvre, Cabriolant par la fenêtre. Puis tout prit fin et disparut… Le vieux regagna ses pénates : Dans une main, des skis agiles, Tenant un javelot de l’autre, Et puis rien d’autre, sinon À la taille un ceinturon.
2
Nyrkab manie gaiement sa lance, Iirkab tout le jour chasse à skis, Seul Miza s’afflige, on l’entend : Son pipeau ne joue pas bien fort. Alors ainsi parla leur père : « Eh bien, les gars, allez, en route ! Cherchez du faucon la plume, Scrutez du Tövpoz la cime ! Car votre force est dans vos cœurs : Les skis graissés, lance acérée, Prenez ce ceinturon magique. La route est rude, soyez braves ! Allez-vous-en vers le levant, Au sommet du haut mont Tövpoz ! À la plume allez tous trois… Ce n’est elle qui viendra ! » Voici les frères sur la route, Les jambes marchent hardiment. Ils dépassèrent sept collines, Firent périr plus d’une bête, Et dans la forêt pénétrèrent… Jamais le Tövpoz n’apparaît. Rien d’autre que la taïga, Où crie la bête aux abois. Ioma de son mieux les entrave, Qui vole et plane à côté d’eux, Et s’acharne à leur faire obstacle. Elle inventa un bosquet dense. Lors Miza sortit la ceinture, À peine eut-il levé le bras Que le bosquet s’escamote, Au profit de vertes mottes. Cette verte prairie débouche Sur une grand-route infinie. Et ils voient là une maison, Vers eux vient une jolie fille. « Venez vous reposer ! dit-elle. Bienvenue à vous, voyageurs ! » Là gîtèrent les trois frères. À satiété ils soupèrent ! Vint le matin. Le jour se lève. Le froid endolorit les jambes. Les yeux des frères s’écarquillent, Ils voient le lieu de leur nuitée : Il n’est là rien d’autre qu’un tremble, Au pied du tremble, un feu éteint. Tout autour, de large en long, Nul ne voit le ceinturon.
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Tout en se lamentant, les frères À travers la forêt grimpèrent. C’était encor la mi-été. Soudain autour tout bascula : Ioma lâcha vent et tempête, La neige tourne en vrombissant. Il tomba six pieds ainsi De neige à ras des sourcils. Ioma là-haut a la ceinture Et ricane sur sa congère. « Qu’elle s’amuse, dit Nyrkab, D’avoir le ceinturon magique. Essayons donc nos skis agiles, Et pointons-les vers le levant ! » Voici les trois frères qui Mettent leurs pieds sur les skis. Ils glissent, filent comme un souffle, Les skis magiques (quel prodige !) Les portant, de plus en plus vite, Jusques au pied du mont Tövpoz. Là tout à coup fondit la neige. Le sommet du haut mont Tövpoz Enthousiasme les trois gars. Ils cheminent à grands pas. L’ascension n’était pas facile, Bien que robustes soient leurs jambes, De roc en roc, de motte en motte En gravissant leurs mains se blessent, Leurs pieds, leurs habits se lacèrent – Moult obstacles y font saillie… Le sommeil n’est pas permis : Ils se hissent jour et nuit. Ioma ordonne au ceinturon De rattraper les trois grimpeurs – Sans résultat. Ioma blasphème Et va quérir Byguyl le Preux, Qui habitait sur la montagne. Haute comme un toit est sa tête, Sans bras ni jambes ni torse, Les yeux fulminant en force. Des braises sortent de sa bouche : Qu’il éternue et tout s’enfume. Sa tête est toute en pierre à feu. Quand il s’en va – le tintamarre ! Alors Byguyl, de sa colline, Ioma l’envoya sur les frères. Il tombe en trombe au galop, Fond sur les frères presto. Nyrkab tira dans l’os du front – Sa lance vola en éclats. Byguyl le Preux est déchaîné… La mort arrive : nul n’en doute. Voici qu’il écrasa deux frères. Miza était sur le côté : À Byguyl il échappa, Vif la tête le laissa.
4
Miza courut Dieu sait combien En quête de Pera le Preux. Mais il ne sait où il habite, De quel côté il faut aller. Triste, il s’assit sur une butte (Dans le chant d’un doux vent du sud, Dans la féerie du soleil.) Pour reposer ses orteils. Miza le brave ouvrit son col, Il prit son pipeau à la main, À peine il l’effleura des lèvres Que du pipeau cent voix sonnèrent. Comme un rossignol il chanta, Sa mélodie résonna loin. Ce son un lièvre attira, Qui s’approcha de Miza. Il sautille et ne tient en place : « Allons ensemble chez Pera ! » Dieu sait comme vite et longtemps Est accouru Pera le Preux : Il vient de gagner ses pénates, Portant de côté, sur sa lance, Sept ours embrochés ensemble. Sa lance un gros poteau semble. Miza fit une révérence, Tel un pin jeune à un mélèze, Et il conta tout son chagrin : « On a occis mes deux grands frères. C’était Byguyl le Preux, là-bas… Il nous a vaincus… » narra-t-il. Pera hésita bien peu : « Montre-moi où est ce preux ! » Il déposa sa prise à terre : Il avait là sept ours en tout ! Par un vert bois ils vont ensemble – Miza tel un petit enfant. Ce n’est que tard dans la soirée Qu’ils atteignirent le Tövpoz : C’est là qu’est Byguyl, ronflant De son nez proéminent. De la taille d’une besace Une bosse a poussé au front Là où la lance a percuté. La bave coule de sa bouche, Un gros élan dort sur sa barbe, Un loup s’agite sur son crâne. D’un écureuil le poil gris Dans l’oreille se tapit. Quand Pera aperçut Byguyl, Il se mit à rire aux éclats. L’autre éternue, mal réveillé : Au bois les bêtes déguerpirent. Ses yeux jetaient des étincelles, Des braises sortaient de sa bouche. La fumée de ses narines Faisait une odeur maligne. Tandis que Byguyl grommelait, Pera vers lui jeta la lance. La lance de Pera se fiche En plein dans un œil de Byguyl : C’en fut fini des étincelles. Pera, de son gros javelot, Frappe alors Byguyl aux dents, Qui s’arrachent en sautant. Les braises sortant de sa bouche Crépitèrent jusqu’à la fin. Byguyl encor va pour se battre, Fait du tapage, écrase tout. Pera vers lui fait quelques pas, Assène un coup de son poing gauche : Byguyl le Preux déguerpit Comme en un trou de souris. Byguyl de nouveau se projette. Pera lui botte les naseaux : Alors Byguyl jusqu’à mi-mont De tout ébranler en fumée. Et puis sur Pera, derechef, Byguyl se jeta violemment. Pera lâche – badaboum ! – Son javelot de cinq pouds . Son javelot comme en un trou Dégringola six pieds sous terre. Alors il serra fortement De ses deux bras Byguyl le Preux, Et voici qu’il le lance en l’air, Au sommet du haut roc Tövpoz : Et paf ! – Byguyl se morcelle, Dans un fatras d’étincelles. En deux se fend le roc Tövpoz, Ioma sort de là en déroute. Miza la rattrape au passage Il la saisit par les cheveux, Dévêt Ioma de la ceinture, La lui arrache en la battant… Parurent les corps des frères, Le cherchant depuis la veille.
5
Miza s’afflige pour ses frères : Comment venir à leur secours ? S’en vient un ours en clopinant, Lequel remarque son chagrin : « Viens, allons quérir un remède ! Prends une gourde et monte-moi ! » Jusqu’à un tertre ils cheminent, Qui un tronc coupé domine. L’ours trébucha dans ses racines, De la souche jaillit de l’eau… Miza cueillit l’eau dans la gourde, Puis sur l’ours il s’en retourna. Et les voici auprès des frères Dans la clairière au pied du roc, Où, la nuit passée, Pera Les deux dépouilles veilla. Miza prit la gourde au remède Et les aspergea : « Debout, frères ! » Ses frères vite se levèrent En s’écriant : « Salut ! Salut ! » Voici, à côté de leurs skis, Une lance au manche tout neuf. Nyrkab, les yeux se frottant, Dit : « On a dormi longtemps ! » Ils dirent à l’ami Pera Leur profonde reconnaissance. À la maison, tranquillement, Rentra Pera chez ses parents : Les arbres se déracinaient, La terre branlait sous ses pieds. Les trois frères médusés Le regardaient s’éloigner ! Mais d’entre les bras de Miza Entre-temps Ioma s’est enfuie : Voici qu’elle fond sur la gourde… La lance de Nyrkab l’attrape… Ioma tomba, inanimée… Elle maudit d’un dernier souffle : « Ô, la terre tout entière, Que nuit noire l’oblitère ! » À midi survint le prodige : Il fit tout obscur sur la terre, Soleil éteint, lune invisible – Exactement comme en la tombe ! Seule une plume, à peine, à peine, Miroitait au sommet du mont. Tomba la neige en bourrasques : Ni ouïe ni vue, quoi qu’on fasse.
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Tant bien que mal, nos trois frangins, À tâtons et à quatre pattes, Grimpent jusqu’au sommet du mont, Jusqu’à la plume scintillante. Quand la plume leur fut échue, Alors l’aîné, par précaution, La blottit dans la ceinture, Car sa hanche était obscure. Et si la nuit était épaisse, Les cœurs rayonnaient d’allégresse ! Les frères chaussèrent leurs skis, Vers la maison ils s’éloignèrent, Grâce à leurs skis allant tout seuls, Qui fendent l’air sans faire un bruit, Voyant la plaine sous eux, Et ce bien qu’ils n’aient pas d’yeux. Les skis doucement sifflent, chantent, De la montagne à la colline, Toujours sous de plus gros nuages. Vers l’ouest ils filent comme un aigle, Ramènent chez eux les trois frères Chez leurs parents quittés jadis. Et voici que leur village Apparaît sur leur passage. Et les voici dans le village… Mais nul ne vient à leur rencontre. Ils regardent : seule une vieille Près d’un feu de copeau s’affaire. Tous les autres sont endormis, Depuis longtemps couchés au sol. On n’entend ni chat ni chien, Un sommeil lourd tous les tient. La vieille alors s’adresse à eux (Tremblant de la main et des membres) : « Eh, bonnes gens, d’où venez-vous ? Et qui pouvez-vous donc bien être ? Depuis trois ans, il fait si sombre… Ainsi va la vie, semble-t-il. Dans tout le village on dort. Et moi seule veille encor. » Miza prit la gourde d’écorce, Et les aspergea tous : « Debout ! » Tous s’éveillèrent, se levèrent, Descendirent de leurs soupentes, Papa exulte, mère embrasse… Le bonheur n’a pas de limites ! Le mal continue pourtant, L’obscurité persistant. Sur la maison le père ensuite Monta tranquillement lui-même, D’un beau sapin fit une table. Un coffret d’argent, un plat d’or Sur la table il y mit la plume, L’enveloppa de soie vermeille, C’est là qu’est l’aile éclatante : De la beauté l’habitante. Mais voici qu’un jour la nuit noire Soudain se fit un peu plus claire : Planant par le grand ciel obscur Vint Pipilisty le faucon, Ses ailes d’or, gorge d’argent, De leur clarté tout éclaboussent. L’aurore brûle ardemment. Le sommeil fuit les vivants. Comme un tonnerre lointain, l’aile Du faucon bat et retentit. Les villageois sont stupéfiés. Le faucon planait dans l’azur : Le voici qui passe là-haut, Où l’aube vainc l’obscurité, Mais sur terre ne vient point Et laisse aux gens leur chagrin. De par la terre on s’agita : Les cœurs se remplissaient d’espoir ! Alors les gens se recueillirent, Levant leurs yeux devers le ciel, Ils prient, du fond du cœur appellent : « Vole, faucon, auprès de nous !» Se méfie l’oiseau, la fée Et ne descend pas plus près. Le jour est encor ténébreux, L’aube à peine ne fait que poindre. Les gens prient deux jours et puis trois, Les veines lourdes de fatigue. Le faucon est toujours là-haut, À l’est le soleil ne vient pas, Malgré le ciel dégagé. Le peuple prie sans succès. Les villageois se rassemblèrent, En hauteur, près d’une clôture. Parmi la foule sont les frères. Miza sort du milieu des gens : Sur une souche de sapin Il va s’asseoir tranquillement (Dans son col est le pipeau) Et tourne la tête en haut. Miza ouvrit son col et prit En main le pipeau d’angélique. Voici qu’alors sonna un son Comme une vague de la mer, Cygne voguant au cœur de l’homme… La terre et l’eau tendaient l’oreille À l’harmonie du récit, Au flot clair de l’harmonie. Miza joue mélodieusement, Ses doigts dansent sur l’instrument. L’eau se taisait, la terre coite, Tant le jeu était délicieux ! Et il joua longtemps ainsi… L’oiseau en fut piqué au cœur : Les prieurs voient l’atmosphère Devenir un peu plus claire. Un grand chant retentit soudain Sur Pipilisty le faucon : « Ô clair soleil, notre faucon, Nous te vouons notre chanson ! Ne vois-tu le chagrin des gens ? Écarte ce mal de la terre ! Jette un œil sur nos contrées ! Vole ici-bas, tendre fée ! » Longtemps encor le chant du peuple Résonna sur toute la terre. Il pointa son nez vers le bas, Et de la terre s’approcha. Puis il descendit presque en flèche Et vint se poser sur le toit, Gorge éclatante éployée : Le hameau changea d’aspect. * * * Ce faucon depuis lors habite Toujours en ce vaste pays. Son cœur logé dans sa poitrine Fait un battage du tonnerre ; Sa plume ardente est dans le nid, Le coffret d’argent, le plat d’or… Le gars joue, la fille chante, Des chansons retentissantes.
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Комиӧн
Пипилысты сӧкӧл
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Илля Вась
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1965ʼ во

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